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31 décembre 2010 5 31 /12 /décembre /2010 16:59

gabrielleWittkopGabrielle Wittkop avait l’esprit d’aventure un rien snob. Un snobisme du bon goût, consistant à vouloir parcourir l’Asie dans les pas de Joseph Conrad et d’autres illustres voyageurs des temps passés, plutôt que dans le sillage des hordes de touristes qui déferlent sur Bali ou les plages de Thaïlande.

A travers la publication à titre posthume de ses Carnets d’Asie, les éditions Verticales nous offrent la chance d’embarquer pour l’Insulinde des années 1970 et 1980 avec cette iconoclaste, décédée en 2002.

Professant un dédain infini pour Bali et les autres enclaves à touristes, cette journaliste au Frankfurter Allgemeine Zeitung n’aime rien tant que se fourrer dans les recoins les plus dangereux et inaccessibles de cette immense région, qui en compte une infinité.

Ne se séparant jamais de son flacon de whisky, elle parcourt la jungle de Bornéo, faisant fi des sangsues, des mygales, des moustiques et autres accueillants insectes qui pullulent dans cet environnement, un des plus hostiles à l’homme qui soit sur terre.

Au grand dam des autorités thaïlandaises, elle explore laibanfrontière entre la Thaïlande et la Birmanie où se cachent les rebelles karen, avant d’aller crapahuter sur l’île indonésienne de Komodo, à une époque où les dangereux dragons -tueurs d’humains à leurs heures- ne sont pas encore devenus une attraction touristique.

Dans les salons des plus grands hôtels, au charme suranné, de Singapour ou de Bangkok, aussi à son aise que dans la jungle, elle tutoie les fantômes de gentlemen depuis longtemps disparus.

Partout, elle gagne le respect et la confiance de membres d’ethnies reculées et témoigne par ses écrits de leur mode de vie en voie de disparition. Ainsi chez les Iban chasseurs de têtes de Bornéo (photo, DR), vivant dans de longues maisons communautaires sur pilotis et dont les mythes tombent dans l’oubli à mesure qu’il devient plus important pour leur survie de gagner à leur cause l’agent du cadastre que les esprits de la forêt…

Usant et abusant des mots rares et des mots en langues locales, Gabrielle Wittkop court parfois le risque de brouiller la compréhension de son récit. Mais si elle semble plus soucieuse de revivre ses voyages par l’écriture que de les faire partager au plus grand nombre, elle emporte pourtant le lecteur dans un tourbillon de dépaysement très intense, qui sollicite tous les sens. Elle excelle à décrire les couchers de soleil sur l’Indonésie (« follement brossé par les cocotiers, le ciel qui, tout à l’heure encore, était gris et rose comme un ventre de souris, vire au soufre puis au rouge bordeaux ») et la moiteur de l’air, saturé d’humidité, qui lui donne l’impression qu’on lui presse en permanence une éponge trempée sur le visage.

Un livre qui prouve, si besoin était, que l’on peut être raffiné et aimer descendre en pirogue des rapides aux eaux fangeuses, être un(e) dandy et apprécier de quitter la tiédeur des salons pour bourlinguer dans la boue. Un livre à s’offrir, mais à ne surtout pas faire lire à sa mère ou à sa moitié avant un départ pour un voyage en solitaire en Asie du sud-est ! 

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23 septembre 2010 4 23 /09 /septembre /2010 16:35

P1010239J'avoue qu'au début, j'étais déçue. Où était passé le Houellebecq que je connaissais, celui qui écrit comme il crache, dont on peut dire "il n'a pas vraiment de style, mais il a quelque chose", faute de pouvoir définir le mélange de violence, de provocation et de désespoir qui constitue ce "quelque chose".  Je trouvais La carte et le territoire fade, le propos dillué, je ne comprenais pas pourquoi les critiques lui faisaient fête, lui promettaient le Goncourt.

Et puis, une fois la moitié du livre dépassée, oubliant mes attentes initiales, j'ai commencé à goûter cette description à l'ironie finalement féroce d'un monde folklorisé, où le tourisme est devenu l'Alpha et l'Omega de la vie et l'"art de vivre" un produit de consommation.  Où un jeune artiste crée, ne peut s'empêcher de créer encore et encore, mais ne parvient pas pour autant à donner sens au monde qui l'entoure, ni à mettre des mots sur ses oeuvres, des mots qui éclaireraient le désarroi d'être là, d'être au monde. Qui ne parvient pas non plus à trouver un mot pour dissuader son taiseux de père d'aller rencontrer sa propre mort dans un clinique suisse aseptisé pratiquant l'euthanasie de luxe.

Dans ce monde sans valeurs et sans dieu, même la dépression de Michel Houellebecq (le Michel-Houllebecq-personnage-du-livre, présenté dans une mise en abîme certes un peu narcissique mais qui réinvente aussi intelligemment l'autofiction) n'est pas une valeur sure. Elle fluctue au grès des pages, va et vient, s'atténue, laisse entrevoir un espoir, fait douter de la supériorité morale de la lucidité sur l'illusion.

A la page 145, j'ai retrouvé Houellebecq tel que je l'attendais. Le personnage-Houellebecq explique au jeune artiste, venu le voir chez lui, en Irlande, qu'"on mange tôt, vous savez, dans ce pays ; mais ce n'est jamais assez tôt pour moi. Ce que je préfère, maintenant, c'est la fin du mois de décembre ; la nuit tombe à quatre heures. Alors je peux me mettre en pyjama, prendre mes somnifères et aller au lit avec une bouteille de vin et un livre. C'est comme ça que je vis, depuis des années. Le soleil se lève à neuf heures ; bon, le temps de se laver, de prendre des cafés, il est à peu près midi, il me reste quatre heures de jours à tenir, le plus souvent j'y parviens sans trop de dégâts. Mais au printemps c'est insupportable, les couchers de soleil sont insupportables et magnifiques, c'est comme un espèce de putain d'opéra (...)".

Mais cette page est peut-être encore plus marquante parce ce qu'elle rompt pas sa brutalité avec la tonalité du reste du livre -une incursion en mode majeur dans un livre en mineur.

Au fil d'autres pages se dégage ainsi une douceur d'autant plus poignante qu'inattendue, au milieu des digressions "wikipédesques" et naturalistes dont on a déjà beaucoup parlé. Ainsi, ces phrases, à propos d'un couple qui n'a pas eu d'enfant mais vit avec un bichon, Michel : "Le chien est une sorte d'enfant définitif, plus docile et plus doux, un enfant qui se serait immobilisé à l'âge de raison, mais c'est de plus un enfant auquel on va survivre : accepter d'aimer un chien, c'est accepter d'aimer un être qui va, inéluctablement, vous être arraché, et cela, curieusement, ils n'en avaient jamais pris conscience avant la maladie de Michel".

Pour ses contrastes et pour sa profondeur, La carte et le territoire est sans doute, oui, un grand roman de la maturité.

 

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25 novembre 2007 7 25 /11 /novembre /2007 16:30

La naissance d'un nouveau magazine est toujours émouvante. 
Et ce même si cette naissance de Polka n'aurait jamais eu lieu si Sarkozy n'avait pas débarqué Alain Genestar de la direction de Paris-Match en 2006, pour cause de "une" cécilienesque...

Le premier numéro de Polka vient de sortir. Il offre, pour cinq euros, une belle variété de styles photographiques sur papier glacé : 
les portraits acidulés des stars des années yéyé par Jean-Marie Périer 
les paysages lunaires et baignés de désespoir industriel de Reza, photographiés au Turkménistan
les photos en noir et blanc d'une Inde hors d'âge de Sebastiao Salgado 
etc...
Toutes ces photos peuvent etre admirées grandeur nature dans la galerie l'Espace W, à Montmartre, dans de grands volumes propices à la promenade comme à la juxtaposition d'univers divers. 

Mon coup de coeur va aux photographies de Marc Riboud, qui présente en une vingtaine de clichés 50 ans de reportages en Chine. Cité interdite, pollution, montagnes millénaires, vieillards courbés, publicités triomphantes et ouvriers barbouillés de charbon y forment un tableau saisissant de l'empire du Milieu.        

Espace W
44 rue Lepic 75018 Paris
Tous les jours
de 10h30 à 20h00, jusqu'au 15 janvier

riboud.jpg

                                                           (Photo : Marc Riboud)

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26 août 2007 7 26 /08 /août /2007 16:31

Visages ocres. Plateaux de bois dans les lèvres des femmes. Féeriques coiffes de fleurs et de lianes. Regards d’enfants.  L’exposition de photos de l’Allemand Hans Silvester, « les habits de la nature » laisse une trace durable sur les rétines et dans les esprits. Il a passé de nombreuses semaines avec les populations nomades de la vallée de l’Omo, en Ethiopie. Extrêmement esthétiques, ses photos subliment l’art de la parure de cette ethnie où l’élaboration de peintures corporelles et de coiffures végétales est un geste quotidien. Devant leur sophistication, on ne peut s’empêcher de penser au premier abord à une mise en scène du photographe, avant de comprendre qu’il a su au contraire saisir des fragments de vie.

Sans adopter une approche ethnographique, Silvester présente une culture qui court le risque d’être folklorisée à court terme, alors que les tours operator cherchent de nouveaux peuples nomades aux « coutumes préservées » pour remplacer les masaïs du Kenya, exploités depuis des années. 
affiche-metro.jpg
Galerie La Maison-près-Bastille, 12 rue Daval, Paris 11e.

Exposition jusqu’au 31 octobre, entrée libre. (Photo : DR)

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22 août 2007 3 22 /08 /août /2007 12:02

C’est une région de l’Inde où les villes –Darjeeling, Kalimpong- s’accrochent des ongles aux flancs de l’Himalaya ou glissent le long de ses pentes, selon les saisons. Une région à l’identité floue, entre Sikkim, Bhoutan, Népal et Inde ; entre attractivité touristique et isolement. 

kiran-desai.jpgSai, une orpheline élevée à la mode occidentale,  y vit avec son oncle dans une vaste maison décrépie, cernée par les brumes qui descendent de la montagne. Dans cette région où le travail est une denrée rare, les jeunes hommes rêvent d’Amérique. Tous envie Biju, le fils du cuisiner qui a obtenu le fabuleux visa pour l’Occident.

Kiran Desai a obtenu le Man Booker Prize pour ce roman sur l’identité, la désillusion de l’exil et les espoirs trahis de la mondialisation. Elle manie avec talent l’art délicat du va-et-vient entre New-York et Kalimpong. Un New York qui se limitera pour Biju aux arrières cuisines des restaurants de Harlem exploitant les sans-papiers et aux trottoirs peuplés de SDF alcooliques. Un Kalimpong où se lève une rébellion indépendantiste qui vient troublée la vie bien rangée de Sai, de son oncle et du cuisinier.

Autour d’eux évolue  une kyrielle de personnages secondaires tous plus ou moins excentriques mais dont Kiran Desai décrit les états d’âme avec une finesse psychologique souvent bouleversante. Son style est poétique sans être ampoulé et sans jamais perdre le fil de la narration. Ayant elle-même connu le déracinement, entre Inde, Etats-Unis et Royaume-Uni, la jeune femme rend palpable la détresse de ne plus être chez soi nulle part.

Une détresse universelle qui  se cristallise finalement dans la douleur d’un homme qui perd son chien. On pense alors au dénouement de L’insoutenable légèreté de l’être de Kundera, marqué par la mort inacceptable du chien Karénine. Mais on pense surtout à ne pas oublier le nom de cette romancière indienne qui parle si bien du monde d’aujourd’hui et de ses déchirures.

La perte en héritage de Kiran Desai (2007, Les Deux Terres), 22 euros.  

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12 août 2007 7 12 /08 /août /2007 20:23

Alexandre Dumas père n’avait ni le goût de l’ascèse, ni celui de l’épure. Sa résidence de Marly le Roi, surnommé « le château de Monte Cristo », en est la preuve vivante. Un pavillon néo-gothique en pierre rose où sont gravés les noms des œuvres de l’écrivain fait fasse à un châtelet néo-renaissance. Ouverte aux visiteurs, la résidence permet de se plonger dans l’univers de ce personnage truculent, qui semble avoir vécu plusieurs vies en une seule. 
dumas.jpg

 

S’il ne reste rien du mobilier de l’écrivain, dispersé par les créanciers, le salon mauresque du premier étage, aux murs en stuc et aux magnifiques mosaïques, a été entièrement reconstitué. Au fil des autres pièces, on (re)découvre les facettes du père de d’Artagnan et Milady : écrivain voyageur, il rapporta de nombreux récits des ses pérégrinations en Russie, en Géorgie ou en Afrique du Nord ; passionné de gastronomie, il était prêt à léguer ses livres de cuisine plutôt que ses romans à la postérité ; hôte aux poches percées, il concoctait des menus de son cru pour ses invités et inventait des recettes à base d’éléphant ou de kangourou ; ami et admirateur de Garibaldi, il livra des chemises rouges et des armes au père de l’Italie ; journaliste, fondateur de journaux, et feuilletoniste, il se battit pour faire reconnaître les droits d’auteurs des écrivains.

Si les collections du musée ne sont pas très riches, (elles se composent en grande partie de gravures d’époque et de bustes de l’écrivain aux lèvres charnues) la richesse de ce personnage romantique, tourbillonnant et aux talent démultipliés par l’aide de ses « nègres », est une garantie absolue contre l’ennui du visiteur.  

Exposition "Garibaldi, mon ami", jusqu'au 1er novembre. Collections permanentes à voir tous les jours, sauf le lundi.

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6 août 2007 1 06 /08 /août /2007 16:04

Pour la quatrième année consécutive, le Secours Populaire français organise « l’été des bouquins solidaires », un projet visant à donner accès aux livres aux enfants oubliés des vacances. En partenariat avec la maison d’éditions pour enfants Rue du monde, le recueil « Contes  de l’olivier » de Catherine Gendrin et Judith Gueyfier leur sera offert. Il regroupe 18 récits issus des traditions juives ou arabes autour du symbole de paix de l’olivier. Pour deux livres achetés en librairie, un troisième sera offert au Secours Populaire.

Julien Lauprêtre dirige le Secours Populaire français depuis plus de 50 ans. Il explique la philosophie qui sous-tend ce projet.

 livre.jpg

De quel constat est partie l’initiative « l’été des bouquins solidaires » ?

 

Le Front Populaire français accorde une grande importance à tout ce qui touche à la culture. Le manque d’accès à la culture est synonyme de repli sur soi et de misère approfondie. Les gens qui viennent au Secours Populaire viennent demander de quoi manger et s’habiller, ils ne demandent pas à aller au théâtre ou à la bibliothèque. Nous voulons donc permettre aux enfants issus de ces familles de se voir offrir des livres.

La première fois que nous avons organisé une distribution de livres sur une plage, nous pensions en retrouver déchirés partout. Mais non ! L’intérêt des enfants était très grand. A la fin de la journée, l’un d’eux est venu me voir et m’a dit « Je peux vraiment le garder ? ». Ce livre était souvent le premier qui rentrait dans leur maison.

 

Constatez-vous une aggravation de la misère culturelle en France ?

 

Oui, sans aucun doute. Il est très difficile de faire aller les gens au théâtre, même quand on leur offre des places gratuites ou avec une toute petite participation financière. Ils ont peur de ne pas être habillés correctement, peur du regard des autres, peur de ne rien comprendre. Avec la lecture, c’est la même chose ! Il est donc essentiel de faciliter l’accès à la culture, qui reste un monde à part pour beaucoup de gens. « Les vacances, c’est pas du luxe » est un de nos slogans. On pourrait ajouter « et la lecture non plus ! ».

 

Qui sont les enfants qui vont bénéficier de cette initiative ?

 

Les livres vont être distribués pendant la journée des oubliés des vacances. Cette année, nous allons faire partir plus de 50 000 enfants en vacances, originaires de toute la France. Les franciliens iront au Touquet, les enfants du Nord en Angleterre. On espère avoir un livre de contes pour chacun, mais de toute façon on s’arrangera pour qu’ils repartent tous avec quelque chose.  « Les contes de l’olivier » est un livre est sensationnel ! D’une pureté extraordinaire. C’est un moyen de faire reculer le racisme et l’antisémitisme, ces poisons de notre société.

 

 

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19 juillet 2007 4 19 /07 /juillet /2007 13:07

« Ce sont les écrivains, les littérateurs et surtout les poètes qui, sans en avoir conscience, ont appelé en quelque sorte les peintres », écrivait André Salmon pour expliquer la naissance du « Montparnasse spectaculaire »  où s’est épanouie une partie des avant-gardes artistiques du XXe siècle. L’exposition qui se tient au musée du Montparnasse fait donc la part belle aux poètes pour retracer cette période mythique. A travers la série des films de Jean-Marie Drot «Les Heures Chaudes de Montparnasse », réalisée au début des années 1960 pour l’ORTF, elle fait renaître les figures de Guillaume apollinaire, Blaise Cendrars, Louis Aragon, Maïakovski, Paul Fort, Léon-Paul Fargue, Antonin Artaud ou Robert Desnos. 

select.jpg  Au détour d’une interview, Aragon –qui fait pourtant partie de la génération ayant rompu avec Montparnasse- raconte sa première rencontre avec Esa Triolet à la Coupole, après laquelle il ne l’a plus quittée. La voix du comédien François Chaumette entonne « les yeux d’Elsa ». Elsa elle-même, âgée et voilée de noir, décrit le poète Maïakovski, « en bronze tout vivant » et à la « tête tellement expressive ». Progressivement se recrée la vaste polyphonie des poètes du Montparnasse.

Les documentaires sont diffusés dans chaque salle, afin que le visiteur entende partout résonner les textes et les témoignages. Dans les vitrines, des photos représentent les artistes et leurs muses. Aux murs, des toiles et des esquisses de Soutine, Chagal, Laurencin ou Zadkine, des bustes de Giacometti ou Modiglini, reflètent l’émulation esthétique de l’époque. Ferdinand Desnos peignait Paul Fort à la Closerie des Lilas  ; Tulli Garbari représentait « les intellectuels à la Rotonde ». Autant d’œuvres grâce auxquelles la ronde artistique de Montparnasse n’est pas tout à fait évanouie.

 

Exposition « Les heures chaudes de Montparnasse », du 15 juin 2007 au 6 janvier 2008, musée du Montparnasse, 21 avenue du Maine, 75 015 Paris. Seuls trois des 14 documentaires de Marie Drot sont exclusivement consacrés aux poètes.  Renseignements sur leurs semaines de diffusion sur http://www.museedumontparnasse.net

 

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17 juin 2007 7 17 /06 /juin /2007 09:45

dante.jpgSamedi 16 juin, 15 heures. Dans l’auditorium du Petit Palais, à Paris, le silence est religieux mais fragile. Le moindre froissement de sac plastique dans le public suffit à rompre la magie du fil que Mehdi Belhaj Kacem tisse entre nous, auditeurs du XXIe siècle, et Dante, poète malade d’amour, vers 1292.

Mehdi Belhaj Kacem lit sa traduction de la Vita Nova, cette œuvre où le poète florentin promet de « dire d’elle [Béatrice] ce qui ne fut jamais dit d’aucune autre ». Premier texte littéraire autobiographique européen ? Ce dont on est sûr, c’est que Dante y donne ses lettres de noblesse à l’italien, dont il fait la langue de l’amour en décidant d’utiliser cette langue vulgaire, le latin restant la langue du savoir.

Dans une passionnante discussion qui s’établit entre l’auteur de la traduction et Jean-Pierre Ferrini, « dantiste » distingué, Mehdi Belhaj Kacem explique qu’il a lu l’intégralité de la Bible parallèlement à sa traduction mais souligne également la modernité de ce texte, où Dante se fait volontiers argotique et « frise souvent avec le mauvais goût ». Ainsi, « le vers le plus casse-gueule » de la Vita Nova serait celui où Béatrice « mastique [son] cœur avec réticence » ! Le romancier-essayiste, qui s’adonnait ici pour la première fois à la traduction, compare le texte à Une saison en enfer, dont il partage la fulgurance.

Emu jusqu’à reconnaître que la préparation de cette lecture publique a été pour lui un véritable calvaire,  Mehdi Belhaj Kacem est pourtant devenu intime de ce texte, qu’il a respecté tout en en donnat une lecture personnelle ; il a vécu pendant un mois et demi, jour et nuit, en sa compagnie. Et en compagnie de Dante. « Pour moi, être traducteur, c’est un peu être infirmier », confie-t-il. Ou la traduction comme exercice de partage de la souffrance de l’autre, avec 700 ans d’écart.

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5 mai 2007 6 05 /05 /mai /2007 15:33
char.jpgC’était un homme au talent fou et au nombre d’amis talentueux tout aussi fou. Le poète René Char aurait eu 100 ans en 2007. La Bibliothèque Nationale de France rend hommage à cet homme d’action, pour qui la poésie devait être « connaissance productive du réel ».

En présentant tous les artistes amis avec lesquels René Char a collaboré au fil des années, l’exposition reconstitue touche par touche son univers mental. Elle présente une grande quantité de manuscrits et d’exemplaires originaux de recueils de poèmes illustrés par les plus grands artistes du XXe siècle. Enluminures de Miro, dessins de Giacometti pour illustrer le vaste poème d’amour « Le visage nuptial », gouaches de Picasso, œuvres de Kandinsky, de Braque ou de Dali. Parfois un peu hermétiques, parfois limpides, presque toujours bouleversants, les textes de Char prennent ainsi un relief et une vie sans égal.

En fond sonore, la voix de Char lit ses propres textes. Sur les murs, des tableaux et des textes évoquent les artistes qui le fascinaient : Georges de la Tour, avec ses tableaux éclairés par la lueur d’une frêle  bougie, Rimbaud, Sade, Corot. Des dizaines de lettres retracent la rupture avec le surréalisme (« la descendance de Sade, de Rimbaud et de Lautréamont serait-elle toute intellectuelle ? Ce compromis navrant, je me refuse de le sanctionner, je prends congé de la foire »), le rôle de Char dans la Résistance, les liens viscéraux qui le lient à son Vaucluse natal, ainsi que toutes les phases de son évolution créative.                                    

Pour une néophyte comme moi, c’était plus que je ne pouvais assimiler en une seule fois. Mais quelques citations, piochées au fil des vitrines, ont continué à rebondir dans ma tête en dehors de la BNF.

« Le poème est ascension furieuse ;/La poésie, le jeu des berges arides ». 

« Résistance n’est qu’espérance ».

« La liberté, c’est ensuite le vide, un vide  à désespérément recenser ».

« Comment vivre sans inconnu devant soi ? »

 Une exposition qui ne donne pas de réponse, mais fait naître une infinité de questions et de soifs d’approfondissement de cette œuvre.

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