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22 janvier 2006 7 22 /01 /janvier /2006 00:00

 

Nuremberg au jour le jour

 

 

    Au mémorial de la Shoah, une « exposition-réalité »  retrace minutieusement la préparation et le déroulement du premier procès pour crime contre l’Humanité de l’Histoire. Documents rares à l’appui, elle vient nourrir la mémoire complexe d’un procès qui fait toujours débat soixante ans après.

       

        Un employé de l’armée américaine juché sur un escabeau  tend le bras pour atteindre un dossier sur une étagère. Autour de lui, des montagnes, des cascades,  de dossiers, tous les documents que la commission de préparation du procès de Nuremberg doit examiner avant son ouverture le 20 novembre 1945. Le président Truman avait insisté pour que le procès se fonde sur des preuves plutôt que des témoignages et il n’a pas été déçu : la chasse aux documents nazis s’est révélée fructueuse.

 

        Cette photo en noir et blanc de l’avant-procès est symptomatique de l’originalité de l’exposition sur le  procès de Nuremberg  qui se tient actuellement au Mémorial de la Shoah, à Paris. Elle donne à voir et à comprendre la logistique d’un procès historique sur lequel on a parfois l’impression de voir et de revoir toujours les mêmes images, les mêmes visages glacés des 21 accusés nazis physiquement présents au procès.

 

       Premier procès d’un tribunal militaire international de l’Histoire et premier procès retenant le chef d’accusation de crime contre l’Humanité, le procès de 24 hauts responsables nazis était un vrai casse-tête en terme d’organisation, de problèmes juridiques, linguistiques ou logistiques.  C’est notamment ce que l’on (re)découvre à travers des images vidéo du procès où le témoin Erich von dem Bach-Zelevski doit répéter en allemand le serment qu’on lui énonce en anglais puis épeler son nom à un magistrat britannique. Processus complexe, malgré le système IBM qui permet une traduction quasi-simultanée des déclarations en quatre langues, et dont les images porteraient presque à rire s’il ne s’agissait   de celui que Göring lui-même a qualifié d’ «assassin le plus sanguinaire de toute la satanée bande[1]».

 

       Juges  soviétiques vêtus de leurs uniformes d’officiers et fervents partisans de la peine de mort versus juges français en jabot de dentelle et, en la personne du juge Donnedieu de Vabre, plutôt partisans de la clémence, les photos et panneaux explicatifs expriment la difficulté pour les Alliés de rendre une justice exemplaire à quatre nationalités et presque autant de cultures juridiques. Mais ils retracent aussi longuement le déroulement du procès et les déclarations des témoins de l’accusation ou de la défense, qu’ils soient nazis ou rescapés des camps de la mort, racontent le pire ou nient jusqu’à son existence. 

 

       Rigoureuses, proches de l’exhaustivité et nourries de multiples documents d’époque, archives originales appartenant au centre de documentation juive contemporaine,  les explications sur le procès restent cependant souvent très descriptives. Elles gagneraient à aborder plus franchement les controverses qui entourent le procès, et notamment l’affaire du massacre de 4 500 officiers polonais à Katyn, dont les Nazis ont été accusés alors que les Soviétiques en étaient les auteurs. Le panneau intitulé « les soviétiques éludent deux accusations »,  qui porte sur le pacte germano-soviétique et Katyn, est plus allusif que réellement explicatif.

 

       Pour un  groupe de collégiens venus de Sens (Yonne) visiter l’exposition, les panneaux explicatifs, présentés dans une semi-pénombre propice au recueillement,  sont un peu ardus. Mais les adolescents stationnent un long moment devant la vidéo où d’Edgar Faure, procureur général adjoint français, affirme sur un ton solennel que l’Allemagne a commis par deux fois le « crime de guerre impérialiste » contre la France. Par ces images, l’exposition souligne subtilement que le caractère fondateur d’un ordre pénal international a peut-être échappé aux magistrats du procès eux-mêmes. Ils ont fait du crime contre l’Humanité le dernier chef d’accusation de la liste, après les crimes contre la paix et les crimes de guerre. Mais pour Martha, visiteuse de l’exposition dont la sœur est morte à Auschwitz, l’essentiel, c’est qu’ « il y [ait] des gens aujourd’hui pour se souvenir de la dimension du crime et la rappeler aux jeunes générations avec ce genre d’exposition. »

 

       Choix de documents et d’extraits du procès originaux mais refus d’entrer dans la polémique, cette exposition permet finalement surtout de nourrir le devoir de mémoire en donnant à voir l’ampleur du procès de Nuremberg.  Elle s’ouvre symboliquement par une photo du centre-ville de Nuremberg en ruines en 1946 et  se referme sur l’explication du processus qui a mené du procès des criminels nazis à la création de la cour pénale internationale de la Haye en 1993.  Ou comment poser la première pierre d’un ordre juridique nouveau sur les ruines du pire.

 



[1] Ercih von dem Bach-Zelevski était le chef suprême des SS.

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22 janvier 2006 7 22 /01 /janvier /2006 00:00

(Papier radio)         Erik Izaelewicz : Quand la Chine change le monde

 

 

 

    Quel est le rapport entre l’émergence de la Chine sur la scène économique mondiale et la duchesse de Guermantes, héroïne de la Recherche du temps perdu de Proust ? « La Chine m’inquiète...» disait le personnage de Proust. Dans son livre quand la Chine change le monde, Erik Izraelewicz part de cette citation pour décrire les peurs actuelles que soulève l’arrivée du géant asiatique sur le marché mondial : peur des hommes politiques, des industriels, des ouvriers du textile, peur généralisée, on pourrait presque dire globalisée, de la Chine.

       Dans ce livre dédié à l’économie de l’Empire du Milieu, Erik Izraelewicz annonce tout de suite la couleur, en écrivant que « la Chine va être, au cours des vingt prochaines années,  le facteur principal de déstabilisation de l’économie mondiale ».

 

 

        Il part toujours d’anecdotes qui révèlent l’omniprésence de la Chine dans notre vie quotidienne. Depuis les cadeaux exclusivement « made in China » sous les sapins de Noël jusqu’aux cochons truffiers périgourdins détrônés par leurs homologues chinois. Pourtant, il ne se contente pas de relayer les peurs qu’éveillent dans les pays occidentaux la concurrence des travailleurs chinois aux salaires en moyenne 30 fois plus bas qu’aux Etats-Unis. Il s’attaque aussi de front à des idées reçues sur le péril jaune. Ainsi, il explique comment la formidable soif chinoise de matières premières, sources d’énergie et produits agricoles relance des activités qui connaissaient des crises profondes dans les vieux pays industrialisés. Des mines de fer du Minnesota ont par exemple été sauvées de la fermeture par la demande chinoise.

       Marchés financiers, innovation technologique, pollution et réchauffement de la planète, marché de l’automobile ou du tourisme, question de la propriété intellectuelle et des brevets, Izraelewicz passe tous ces secteurs au crible, cherchant toujours à avoir une vision nuancée des conséquences de l’ouverture de la Chine sur le monde depuis la fin des années 1970. Livre de journaliste, pas de chercheur, quand la Chine change le monde a une ambition plus globale que précise et pointilleuse.

    Si Erik Izraelewicz s’autorise de courts détours par la démographie, l’histoire ou le sport, c’est toujours pour éclairer l’économie, ce qui rend le livre plus digeste pour un lecteur profane. Un livre pédagogique, donc, utile pour comprendre les enjeux des relations complexes entre la Chine et le monde.  On peut regretter toutefois que la question des droits de l’homme ne soit évoquée que de façon marginale : Erik Izraelewicz note certes l’absence de législation du travail mais pas celle de droit d’expression ou de liberté politique…

Quand la Chine change le monde d’Erik Izraelewicz est publié en livre de poche.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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22 janvier 2006 7 22 /01 /janvier /2006 00:00

Rwanda : reconstruire le lien social

 

 

Alors que la société rwandaise souffre d’un sentiment de culpabilité diffus dû à la participation de multiples groupes sociaux  au génocide de 1994, la reconstruction d’institutions comme les médias et les Eglises peut jouer un rôle majeur dans la réconciliation et l’exorcisation du passé. 

 

       Au Rwanda, tous les auteurs du génocide de 1994 n’ont pas manié la machette. Certains ont manié le micro comme un instrument de mort tout aussi efficace.  D’autres portaient la soutane et se sont, directement ou indirectement, rendus complices du massacre d’environ un million de citoyens rwandais.

       Si le processus de réconciliation est si douloureux au Rwanda, c’est à cause de l’implication dans le génocide de personnes à tous les niveaux de responsabilité sociale, depuis les plus hautes sphères de l’Etat et les journalistes jusqu’aux prêtres et pasteurs. Aujourd’hui, la réconciliation et le « plus jamais ça » passent par la mise en place de nouvelles institutions sociales fiables et pacifiques, permettant d’exorciser le passé et de faciliter la vie commune, au-delà des critères ethniques.

      En 2004 a été créée la première radio rwandaise privée depuis le génocide, Radio 10. Pendant dix ans, seules des radios étrangères, comme Voice of America ou BBC, avaient été autorisées à émettre sur le territoire rwandais, en plus de la station publique Radio Rwanda. 2004 est donc une date charnière pour le processus de libéralisation des médias rwandais, qui a été interrompu par le génocide et les dix années de défiance à l’égard des médias qui l’ont suivi.

Radio-la haine

       En 1993-1994, la radio des mille collines avait appelé à la haine ethnique et purement et simplement au meurtre des tutsis et hutus modérés. Elle était théoriquement privée mais dans les faits dirigée par les plus extrémistes du régime hutu. Celle qui était surnommée « radio-la haine » avait appelé les hutus à « exterminer les cafards » et révélait sur les ondes où ils se cachaient. Une chaîne de télévision et un magazine propageaient le même message génocidaire. Par leur intermédiaire, c’est un véritable « plan-média » au service du génocide qui avait pu être mis en place.  Au Tribunal Pénal International  d’Arusha, Ferdinand Nahimana et Jean-Bosco Barayagwisa, co-fondateurs de la Radio-Télévision des Milles Collines  et Hassan Ngeze, rédacteur en chef d’une revue extrémiste anti-Tutsi ont été jugés « coupables d’incitation directe et publique à commettre le génocide et de crimes contre l’humanité ». Ils ont été condamnés en décembre 2003 à la prison à vie ou à 35 ans d’emprisonnement, soit les peines les plus lourdes infligées à Arusha. Mais le président du conseil d’administration de la Radio des Mille Collines court toujours.

                                                    Censure ou prudence post-génocide ?

        Radio 10 a été la première d’une série de radios rwandaises à réinvestir les ondes, dix ans après le génocide,  mais elle s’est dans un premier temps autocensurée en ne diffusant aucun programme à dimension politique. Il faudra sans doute  encore quelques années pour qu’un vrai espace de débat citoyen soit possible après un tel opprobre jeté sur les médias.  Marie[1], trentenaire souriante, est une ancienne militante rwandaise des Droits de l’Homme qui réside  en France depuis juillet 2005. Elle craint que « les radios privées (sauf Radio catholique) ne soient que des satellites du gouvernement, malgré leur prolifération ». Elle considère que tant que le gouvernement accusera de « propagande génocidaire » tous ceux qui osent tenir des propos d’opposition, il n’y aura pas de vrais médias indépendants au Rwanda.

       Ainsi, le souvenir à vif du génocide de 1994 servirait aujourd’hui au pouvoir rwandais de prétexte à la limitation de la liberté de la presse. L’association des journalistes rwandais a cependant remporté une victoire notable contre le pouvoir en 2002. Elle a obtenu que soit effacé d’une loi sur la liberté de la presse une disposition sur « le délit d’incitation à la haine ethnique, passible de la peine capitale ». Les journalistes demandaient que cette disposition soit intégrée à une loi générale sur le génocide et non à une loi sur la presse, afin que les médias ne soient pas les seuls montrés du doigt.

Du côté des maisons de Dieu

         Quoiqu’à première vue bien loin des studios radio, les Eglises rwandaises connaissent en quelque sorte le même statut ambigu que les médias aujourd’hui. La suspicion à l’égard des Eglises chrétiennes[2] a été forte juste après le génocide, elles ont été désertées. Certains prêtres et pasteurs avaient dénoncé leurs fidèles aux milices, d’autres n’avaient simplement pas su les protéger, d’autres encore avaient involontairement fait le jeu du pouvoir hutu en propageant une idéologie tiers-mondiste d’émancipation de la majorité hutu de la population.  Certains prêtres, abbés ou pasteurs ont échappé au jugement après les massacres, grâce à la protection de la hiérarchie religieuse.

         Mais aujourd’hui, les Eglises, et surtout les nouvelles Eglises pentecôtistes qui fleurissent depuis quelques années au Rwanda, jouent un rôle central dans l’exorcisation du passé et la reconstruction d’un lien social sur des bases autres qu’ethniques. Le caractère souvent spectaculaire du pentecôtisme et du courant charismatique chez les Catholiques offre un exutoire aux angoisses et aux émotions de Rwandais traumatisés par le génocide. Selon André Corten[3], professeur à l’université de Québec, le renouveau religieux est  aussi un moyen de créer une nouvelle communauté qui leur  permet  d’échapper au caractère étouffant de la vie des campagnes, qu’il considère comme une des causes du génocide. La religion serait un « moyen de revenir à l’indifférenciation entre les hommes qui est nécessaire à la réconciliation ». Marie abonde dans ce sens, soulignant que « la composante ethnique n’est pas très importante au Rwanda : on a une même langue, il y avait des mariages mixtes…L’idée de l’ethnie, elle vient de manipulations. La religion permet de revenir à une vraie unité ».

       Les génocides antérieurs au génocide rwandais ont prouvé que tant qu‘un récit collectif, une mémoire nationale du génocide, n’ont pas été constitués, aucune réconciliation n’est possible. Au Rwanda, au-delà de la constitution de nouveaux groupes sociaux, les médias comme les Eglises ont peut-être un rôle à jouer dans la naissance de ce récit d’un génocide dont nul ne peut jurer à l’heure actuelle qu’il ne se reproduira pas.

 

 

 


[1]              Le prénom est fictif, pour des raisons d’anonymat.

[2]              Le Rwanda est un pays majoritairement chrétien, qui compte environ 50% de Catholiques et une minorité protestante en forte croissance.

[3]           Auteur de Le discours de la réconciliation et les nouvelles églises au Rwanda, dans Afrique contemporaine, no 200, 4e semestre 2001.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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22 janvier 2006 7 22 /01 /janvier /2006 00:00

Moi, toi…et le spectateur médusé

 

 

     Imaginez un instant un film hybride, sorte de croisement entre Amélie Poulain  et American Beauty… Un Amélie Poulain un peu trash, où une quadra frustrée fantasmerait par claviers interposés sur les répliques naïves d’un garçon de six ans,  ou un American Beauty éclairé par des flashs de regards enfantins, où il deviendrait brusquement crucial de sauver un poisson rouge malencontreusement plaqué  dans son sachet en plastique sur le pare-brise d’une voiture fonçant sur l’autoroute…

 

 

 

       Ce film, et beaucoup d’autres car la comparaison est nécessairement réductrice pour un film aussi riche, c’est Moi, toi et tous les autres, de  Miranda July, une fable moderne qui a reçu la caméra d’or au dernier festival de Cannes. Un film à tiroirs d’où sortent pêle-mêle de longs et francs fous rires, une émotion subtile et, par moments, un sentiment de malaise qui s’insinue comme la lumière rasante de la banlieue américaine où se déroule l’action.

 

 

 

      Comme dans beaucoup de bons films, l’intrigue est difficile à résumer. C’est une intrigue en forme de croisements, de circonvolutions de personnages qui habitent le même quartier et s’y rencontrent ou s’y ignorent, s’y fuient ou s’y cherchent, mais vivent dans tous les cas leurs vraies aspirations seuls devant leurs miroirs. Il y a cette artiste trentenaire, interprétée avec fantaisie et justesse par Miranda July elle-même, qui projette ses aspirations à l’amour dans ses œuvres  vidéo qu’elle sait destinées à être refusées par le musée d’art contemporain de la ville. Il  y a cet homme divorcé à la calvitie en route qui élève seul ces deux enfants avec qui il n’arrive pas à ébaucher la moindre signe de vraie communication et qui fait subir ses aphorismes métaphysiques désespérés aux clients du magasin de chaussures où il travaille. Ces deux adolescentes surmaquillées au teint blafard qui se laissent griser par la spirale de la séduction-provocation, cette petite fille obsédée par la constitution de son trousseau de  mariage…et tous les autres, car finalement, dans ce quartier silencieux, chacun traîne plus ou moins un mal de vivre plus lourd que lui.

 

 

 

         Dans cette banlieue et dans ce film, il n’y en a pas un qui se sente vraiment en adéquation avec sa vie, les enfants agissent comme des adultes, refusant la légèreté de leur âge, et les adultes comme des enfants, planant loin au-dessus du sol. Tout cela pourrait donner une image bien noire et désabusée d’une société américaine en roues libres, perdue sans repères moraux ou sociaux, si l’on ne se situait pas dans le registre de la fable. Mais la grande force de Miranda July, c’est  qu’elle réussi au contraire à en faire un film sans pesanteur, fourmillants de clins d’œil d’autodérision et moments de magie éphémère que les personnages arrivent finalement à faire naître, au fil de leurs rencontres, comme dans cette scène de dénouement tout à la fois surréaliste et chargée de sens où l’artiste et le vendeur de chaussures suspendent un tableau dans un buisson. Une petite perle parmi tant d’autres de ce film, dans lequel s’ouvrent finalement quantités de portes, qui révèlent que la communication est possible, par le rire, l’art ou simplement le fait d’entrer dans le jeu des rêves de l’autre.

 

       La magie qui s’en dégage doit évidemment beaucoup aux images elles-mêmes, magnifiques, qui réussissent le pari risqué de rester sur le fil du poétique et du vibrant sans tomber dans le  piège de l’esthétisant. Et de sublimer une banlieue banale sans la dénaturer. Bref, un vrai regard d’artiste et une réussite étonnante de maîtrise et de profondeur pour un premier film : vivement le deuxième !

 

 

 

 

 

 

 

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