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22 janvier 2006 7 22 /01 /janvier /2006 00:00

Moi, toi…et le spectateur médusé

 

 

     Imaginez un instant un film hybride, sorte de croisement entre Amélie Poulain  et American Beauty… Un Amélie Poulain un peu trash, où une quadra frustrée fantasmerait par claviers interposés sur les répliques naïves d’un garçon de six ans,  ou un American Beauty éclairé par des flashs de regards enfantins, où il deviendrait brusquement crucial de sauver un poisson rouge malencontreusement plaqué  dans son sachet en plastique sur le pare-brise d’une voiture fonçant sur l’autoroute…

 

 

 

       Ce film, et beaucoup d’autres car la comparaison est nécessairement réductrice pour un film aussi riche, c’est Moi, toi et tous les autres, de  Miranda July, une fable moderne qui a reçu la caméra d’or au dernier festival de Cannes. Un film à tiroirs d’où sortent pêle-mêle de longs et francs fous rires, une émotion subtile et, par moments, un sentiment de malaise qui s’insinue comme la lumière rasante de la banlieue américaine où se déroule l’action.

 

 

 

      Comme dans beaucoup de bons films, l’intrigue est difficile à résumer. C’est une intrigue en forme de croisements, de circonvolutions de personnages qui habitent le même quartier et s’y rencontrent ou s’y ignorent, s’y fuient ou s’y cherchent, mais vivent dans tous les cas leurs vraies aspirations seuls devant leurs miroirs. Il y a cette artiste trentenaire, interprétée avec fantaisie et justesse par Miranda July elle-même, qui projette ses aspirations à l’amour dans ses œuvres  vidéo qu’elle sait destinées à être refusées par le musée d’art contemporain de la ville. Il  y a cet homme divorcé à la calvitie en route qui élève seul ces deux enfants avec qui il n’arrive pas à ébaucher la moindre signe de vraie communication et qui fait subir ses aphorismes métaphysiques désespérés aux clients du magasin de chaussures où il travaille. Ces deux adolescentes surmaquillées au teint blafard qui se laissent griser par la spirale de la séduction-provocation, cette petite fille obsédée par la constitution de son trousseau de  mariage…et tous les autres, car finalement, dans ce quartier silencieux, chacun traîne plus ou moins un mal de vivre plus lourd que lui.

 

 

 

         Dans cette banlieue et dans ce film, il n’y en a pas un qui se sente vraiment en adéquation avec sa vie, les enfants agissent comme des adultes, refusant la légèreté de leur âge, et les adultes comme des enfants, planant loin au-dessus du sol. Tout cela pourrait donner une image bien noire et désabusée d’une société américaine en roues libres, perdue sans repères moraux ou sociaux, si l’on ne se situait pas dans le registre de la fable. Mais la grande force de Miranda July, c’est  qu’elle réussi au contraire à en faire un film sans pesanteur, fourmillants de clins d’œil d’autodérision et moments de magie éphémère que les personnages arrivent finalement à faire naître, au fil de leurs rencontres, comme dans cette scène de dénouement tout à la fois surréaliste et chargée de sens où l’artiste et le vendeur de chaussures suspendent un tableau dans un buisson. Une petite perle parmi tant d’autres de ce film, dans lequel s’ouvrent finalement quantités de portes, qui révèlent que la communication est possible, par le rire, l’art ou simplement le fait d’entrer dans le jeu des rêves de l’autre.

 

       La magie qui s’en dégage doit évidemment beaucoup aux images elles-mêmes, magnifiques, qui réussissent le pari risqué de rester sur le fil du poétique et du vibrant sans tomber dans le  piège de l’esthétisant. Et de sublimer une banlieue banale sans la dénaturer. Bref, un vrai regard d’artiste et une réussite étonnante de maîtrise et de profondeur pour un premier film : vivement le deuxième !

 

 

 

 

 

 

 

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