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22 janvier 2006 7 22 /01 /janvier /2006 00:00

Rwanda : reconstruire le lien social

 

 

Alors que la société rwandaise souffre d’un sentiment de culpabilité diffus dû à la participation de multiples groupes sociaux  au génocide de 1994, la reconstruction d’institutions comme les médias et les Eglises peut jouer un rôle majeur dans la réconciliation et l’exorcisation du passé. 

 

       Au Rwanda, tous les auteurs du génocide de 1994 n’ont pas manié la machette. Certains ont manié le micro comme un instrument de mort tout aussi efficace.  D’autres portaient la soutane et se sont, directement ou indirectement, rendus complices du massacre d’environ un million de citoyens rwandais.

       Si le processus de réconciliation est si douloureux au Rwanda, c’est à cause de l’implication dans le génocide de personnes à tous les niveaux de responsabilité sociale, depuis les plus hautes sphères de l’Etat et les journalistes jusqu’aux prêtres et pasteurs. Aujourd’hui, la réconciliation et le « plus jamais ça » passent par la mise en place de nouvelles institutions sociales fiables et pacifiques, permettant d’exorciser le passé et de faciliter la vie commune, au-delà des critères ethniques.

      En 2004 a été créée la première radio rwandaise privée depuis le génocide, Radio 10. Pendant dix ans, seules des radios étrangères, comme Voice of America ou BBC, avaient été autorisées à émettre sur le territoire rwandais, en plus de la station publique Radio Rwanda. 2004 est donc une date charnière pour le processus de libéralisation des médias rwandais, qui a été interrompu par le génocide et les dix années de défiance à l’égard des médias qui l’ont suivi.

Radio-la haine

       En 1993-1994, la radio des mille collines avait appelé à la haine ethnique et purement et simplement au meurtre des tutsis et hutus modérés. Elle était théoriquement privée mais dans les faits dirigée par les plus extrémistes du régime hutu. Celle qui était surnommée « radio-la haine » avait appelé les hutus à « exterminer les cafards » et révélait sur les ondes où ils se cachaient. Une chaîne de télévision et un magazine propageaient le même message génocidaire. Par leur intermédiaire, c’est un véritable « plan-média » au service du génocide qui avait pu être mis en place.  Au Tribunal Pénal International  d’Arusha, Ferdinand Nahimana et Jean-Bosco Barayagwisa, co-fondateurs de la Radio-Télévision des Milles Collines  et Hassan Ngeze, rédacteur en chef d’une revue extrémiste anti-Tutsi ont été jugés « coupables d’incitation directe et publique à commettre le génocide et de crimes contre l’humanité ». Ils ont été condamnés en décembre 2003 à la prison à vie ou à 35 ans d’emprisonnement, soit les peines les plus lourdes infligées à Arusha. Mais le président du conseil d’administration de la Radio des Mille Collines court toujours.

                                                    Censure ou prudence post-génocide ?

        Radio 10 a été la première d’une série de radios rwandaises à réinvestir les ondes, dix ans après le génocide,  mais elle s’est dans un premier temps autocensurée en ne diffusant aucun programme à dimension politique. Il faudra sans doute  encore quelques années pour qu’un vrai espace de débat citoyen soit possible après un tel opprobre jeté sur les médias.  Marie[1], trentenaire souriante, est une ancienne militante rwandaise des Droits de l’Homme qui réside  en France depuis juillet 2005. Elle craint que « les radios privées (sauf Radio catholique) ne soient que des satellites du gouvernement, malgré leur prolifération ». Elle considère que tant que le gouvernement accusera de « propagande génocidaire » tous ceux qui osent tenir des propos d’opposition, il n’y aura pas de vrais médias indépendants au Rwanda.

       Ainsi, le souvenir à vif du génocide de 1994 servirait aujourd’hui au pouvoir rwandais de prétexte à la limitation de la liberté de la presse. L’association des journalistes rwandais a cependant remporté une victoire notable contre le pouvoir en 2002. Elle a obtenu que soit effacé d’une loi sur la liberté de la presse une disposition sur « le délit d’incitation à la haine ethnique, passible de la peine capitale ». Les journalistes demandaient que cette disposition soit intégrée à une loi générale sur le génocide et non à une loi sur la presse, afin que les médias ne soient pas les seuls montrés du doigt.

Du côté des maisons de Dieu

         Quoiqu’à première vue bien loin des studios radio, les Eglises rwandaises connaissent en quelque sorte le même statut ambigu que les médias aujourd’hui. La suspicion à l’égard des Eglises chrétiennes[2] a été forte juste après le génocide, elles ont été désertées. Certains prêtres et pasteurs avaient dénoncé leurs fidèles aux milices, d’autres n’avaient simplement pas su les protéger, d’autres encore avaient involontairement fait le jeu du pouvoir hutu en propageant une idéologie tiers-mondiste d’émancipation de la majorité hutu de la population.  Certains prêtres, abbés ou pasteurs ont échappé au jugement après les massacres, grâce à la protection de la hiérarchie religieuse.

         Mais aujourd’hui, les Eglises, et surtout les nouvelles Eglises pentecôtistes qui fleurissent depuis quelques années au Rwanda, jouent un rôle central dans l’exorcisation du passé et la reconstruction d’un lien social sur des bases autres qu’ethniques. Le caractère souvent spectaculaire du pentecôtisme et du courant charismatique chez les Catholiques offre un exutoire aux angoisses et aux émotions de Rwandais traumatisés par le génocide. Selon André Corten[3], professeur à l’université de Québec, le renouveau religieux est  aussi un moyen de créer une nouvelle communauté qui leur  permet  d’échapper au caractère étouffant de la vie des campagnes, qu’il considère comme une des causes du génocide. La religion serait un « moyen de revenir à l’indifférenciation entre les hommes qui est nécessaire à la réconciliation ». Marie abonde dans ce sens, soulignant que « la composante ethnique n’est pas très importante au Rwanda : on a une même langue, il y avait des mariages mixtes…L’idée de l’ethnie, elle vient de manipulations. La religion permet de revenir à une vraie unité ».

       Les génocides antérieurs au génocide rwandais ont prouvé que tant qu‘un récit collectif, une mémoire nationale du génocide, n’ont pas été constitués, aucune réconciliation n’est possible. Au Rwanda, au-delà de la constitution de nouveaux groupes sociaux, les médias comme les Eglises ont peut-être un rôle à jouer dans la naissance de ce récit d’un génocide dont nul ne peut jurer à l’heure actuelle qu’il ne se reproduira pas.

 

 

 


[1]              Le prénom est fictif, pour des raisons d’anonymat.

[2]              Le Rwanda est un pays majoritairement chrétien, qui compte environ 50% de Catholiques et une minorité protestante en forte croissance.

[3]           Auteur de Le discours de la réconciliation et les nouvelles églises au Rwanda, dans Afrique contemporaine, no 200, 4e semestre 2001.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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