Les Tuileries seraient-elles tendance ? Un comité se mobilise pour les faire reconstruire, avec verve mais sans doute peu de chances d’aboutir.
Depuis plus d’un siècle, les Français se sont habitués à vivre sans les Tuileries. Entre le 23 et le 25 mai 1871, c’est tout un pan d’histoire de France qui partit en fumée. En plein cœur de la « semaine sanglante » de la Commune de Paris, alors que la répression des insurgés par les troupes versaillaises est féroce, la « barbarie de la Commune », selon l’expression consacrée dans les milieux anti-communards, incendie les Tuileries. Avec ce palais construit à partir de 1564, trois siècles d’ajouts successifs et de fastes royaux et impériaux disparaissent.
Pour expier les crimes de la Commune, Paris se pare du Sacré Cœur en 1873 mais les Tuileries ne renaissent pas de leurs cendres. L’Hôtel de Ville joue en revanche les phénix : incendié dans les mêmes circonstances que les Tuileries, il est reconstruit à l’identique, de même que le Ministère des Finances, la Cour des Comptes ou l’Hôtel de la Légion d'Honneur. Seules les Tuileries se trouvent exclues de ces grands chantiers républicains qui tendent à effacer toute trace de l’épisode insurrectionnel. Jules Ferry, alors maire de Paris, avait pourtant solennellement promis aux sénateurs de reconstruire les Tuileries pour en faire un musée. Nul ne sait s’il avait fait cette promesse en toute bonne foi, mais l’homme aux favoris serait sans doute surpris de voir des centaines de personnes se mobiliser pour cette cause quelque 135 ans plus tard. En 1882, c’est en tout cas Ferry qui fait voter la loi d’arasement des Tuileries, théoriquement pour pouvoir mieux reconstruire le bâtiment, mais ce ne sera en fait jamais le cas.
Pourtant, l’idée de la reconstruction ne disparaît jamais complètement, et c’est en 2002, qu’est créé le comité national pour la reconstruction des Tuileries. Aujourd’hui, il ne compte pas moins de 500 membres, dont Philippe Seguin et le très éminent académicien Maurice Druon. Ce dernier n’a pas hésité à s’écrier avec passion « il faut lancer une souscription nationale ! » dans l’émission « Tout le monde en parle » de Thierry Ardissson la semaine dernière. Malgré la visibilité donnée au projet par cette émission de télévision, les Tuileries ne vont pas pour autant bondir de terre demain. Ce chantier coûterait en effet la bagatelle de 300 millions d’euros ! Le comité soutient que la Ville de Paris et l’Etat ne débourseraient pas un centime, grâce à la souscription nationale, voire internationale, mais réunir une telle somme auprès de particuliers est loin d’être aisé. Et on imagine mal l’Etat ne pas mettre du tout la main à la poche si ce projet devait se concrétiser.
Pour justifier la reconstruction des Tuileries dans l’état de la fin du Second Empire, le comité n’a pas peur des formules emphatiques. Alain Boumier, président du comité et de l’Académie du Second Empire, souligne que « la perspective de 9 km qui s’étend des Tuileries à la Grande Arche de la Défense fait partie de ces axes historiques que bien peu de villes au monde ont le privilège de posséder ». Il ajoute que « Le Comité national pour la reconstruction des Tuileries est porté par un élan au-delà des générations, des tendances politiques, des cultures et des frontières, pour un creuset où s'est cherchée et s'est trouvée la France moderne ». Pureté de la perspective créée par les Tuileries, harmonie de ses façades classiques conçues par Philibert Delorme, vaste tranche d’histoire marquée par les empreintes de Catherine de Médicis, Napoléon ou encore Louis XVIII, et même de la Convention qui s’y était installée en 1793[1], tout est évoqué pour étayer cette thèse.
Pourtant, derrière l’accumulation d’arguments convaincants, se dessine également un mouvement à tendance très conservatrice. Sur le forum de débat « passion-histoire.net », certains internautes soulignent que la reconstruction des Tuileries mettrait la Grande Pyramide du Louvre un peu à l’étroit dans sa cour, alors que des partisans de la reconstruction soutiennent au contraire que la Pyramide n’a aucune valeur historique et qu’il aurait donc mieux valu consacrer l’argent de son édification à la reconstruction des Tuileries. Un projet certes historiquement plus cohérent mais qui aurait laissé nettement moins de place à la créativité artistique et à la valorisation de l’architecture contemporaine. Ce même internaute anti-pyramide serait d’ailleurs partisan d’ôter le plafond de Chagall de l’opéra Garnier pour restaurer le plafond Second Empire…Evoquer la reconstruction des Tuileries est également souvent prétexte à de violentes diatribes contre les Communards. Une preuve que reconstruire les Tuileries est loin d’être est un projet politiquement fédérateur.
Au-delà même de ce débat sur le conservatisme du comité, rebatir le palais poserait un véritable casse-tête logistique. Cela impliquerait de réorganiser une fois de plus le musée du Louvre, qui s’engage déjà dans une nouvelle phase de travaux. Et les fondations d’une partie du palais des Tuileries ont été détruites pour installer un couloir d’accès au parking souterrain pour les visiteurs du musée.
Mais de toute façon, pour Nelly Tardivier, chargée de mission au Louvre pour le jardin des Tuileries, « ce projet de reconstruction n’est pas à l’ordre du jour. Il faudrait reconstruire le palais ex nihilo, ce qui n’est pas dans les habitudes patrimoniales françaises ». Elle explique que l’Allemagne ou la Russie l’ont fait, par exemple pour les palais petersbourgeois détruits par les Allemands. En France, en revanche, il règne une sorte de consensus politique qui veut qu’on ne revienne pas sur la décision prise sous la Troisième République de ne pas reconstruire les Tuileries. En outre, Nelly Tradivier considère que « si la reconstruction avait lieu aujourd’hui, on serait plus dans de l’interprétation que dans la fidélité historique. Et comme il ne reste strictement rien des Tuileries, ce projet de reconstruction pourra toujours se concrétiser dans un siècle, voire plus».
Malgré le lobbying du comité pour la reconstruction des Tuileries, c’est au ministère de la Culture qu’il reviendra de prendre une décision, si décision quelconque il doit y avoir. Cela ne semble pas devoir être le cas pour le moment. Alain Boumier écrit qu’« on ne peut pas effacer une âme ». Il devra sans doute se contenter du souffle de l’Histoire qui passe toujours dans le parc des Tuileries, même s’il n’est plus ombré par le palais des rois et des empereurs.