Pouvez-vous nous expliquer brièvement en quoi consiste le travail d’un académicien aujourd’hui ? S’agit-il essentiellement de la rédaction du fameux Dictionnaire ?
Laurent Personne : Etre académicien, ce n’est pas seulement se promener en habit vert, c’est beaucoup de travail ! L’Académie décerne environ 70 prix chaque année, depuis un prix de poésie jusqu’à des prix de chanson ou de cinéma. La plupart ont été créés à la suite de lègues de fortes sommes d’argent à l’Académie. Cela entraîne un gros travail pour les académiciens, car il y a des commissions pour chacun de ces prix, qui choisissent les lauréats. Ces prix sont peut-être moins médiatisés que le Goncourt, mais ils sont extrêmement prestigieux.
Il existe également des commissions pour les prix d’œuvres sociales de l’Académie, comme le prix Cognac Jay. Il est remis chaque année à des familles nombreuses en difficulté.
Mais au-delà de ces œuvres de mécénat, l’Académie continue sa mission de service public, avec la rédaction du Dictionnaire, conformément aux objectifs de Richelieu. La première édition a été publiée en 1694 et la 9e édition sera finie d’ici trois ou quatre ans. Les trente-huit académiciens travaillent dur à cette fin.
En quoi ce Dictionnaire se distingue-t-il des autres ?
Le Dictionnaire de l’Académie française n’est pas le Larousse ou le Robert. Ces dictionnaires paraissent tous les ans et ajoutent à chaque fois de nombreuses nouvelles entrées, qu’ils suppriment l’année suivante. Le Dictionnaire de l’Académie française est un dictionnaire de l’usage. Or, il faut du temps pour constater l’évolution de l’usage.
L’Académie est-elle suffisamment réactive à l’évolution de l’usage de la langue ? N’y a-t-il pas un fossé de plus ne plus large entre ses recommandations et l’usage de la plupart des Français ?
Dans la prochaine édition du dictionnaire, il y aura 60 000 mots, soit près du double de l’édition précédente. C’est la preuve qu’on reconnaît que l’usage évolue. Nous ne sommes pas du tout arc-boutés sur la stabilité de la langue.
LP : Savez-vous que c’est Maurice Druon qui a suggéré à Mitterrand l’expression « conférence des pays ayant le français en partage » ? L’Académie a une responsabilité vis-à-vis de tous nos amis francophones. Dans le Commonwealth, c’est la reine qui fait le lien entre tous les habitants, alors que dans la Francophonie, c’est la langue qui fait le lien, et l’Académie française en est la gardienne. Son image est même enviée dans le monde. Par exemple, les Anglais n’ont pas d’Académie. Pourtant, l’anglais est une très belle langue, qui mériterait d’être protégée contre le sabir américain.
L’Académie française a toujours été invitée à tous les sommets de la Francophonie, depuis 1986. Mme Carrère d’Encausse se rendra sans aucun doute au prochain sommet, à Bucarest, en septembre 2006.
Quels sont aujourd’hui les liens de l’Académie française avec le président de la République ? Le dernier président à avoir refusé l’élection d’un académicien était Charles de Gaulle, avec Paul Morand et Saint John Perse. Cela serait-il perçu comme un abus de pouvoir aujourd’hui ?
Pour qu’un académicien soit élu, il faut qu’il soit reçu par le président de la République. Cette audience vaut décret. C’est un reste de pouvoir régalien du chef d’Etat. Le général de Gaulle reprochait à Paul Morand d’avoir travaillé dans les ambassades de Vichy. Aujourd’hui encore, si les académiciens veulent élire une personnalités dont le passé peut choquer, le président peut s’y opposer. Mais s’il mettait son veto à une élection pour des raison personnelles ou de goût, cela serait perçu comme un abus.
La tendance actuelle est-elle à élire une majorité d’écrivains alors que l’Académie accueillait autrefois plus de scientifiques et d’hommes politiques ? L’élection de Georges Clemenceau en 1918 n’avait suscité aucun débat alors que celle de Valéry Giscard d’Estaing en 2003 a généré une polémique.
LP : Valéry Giscard d’Estaing a été élu académicien brillamment, au premier tour, avec 24 voix. Quelques articles désagréables dans la presse ont créé la polémique, alors qu’il y a toujours eu de nombreux hommes d’Etat à l’Académie. Et Valéry Giscard d’Estaing n’a écrit qu’un roman, mais il est l’auteur de nombreux essais politiques.
Comme tendance de fond, on peut remarquer qu’il n’a plus de militaires à l’Académie depuis le maréchal Juin, alors qu’il y en avait toujours eu. Pourtant, il y a toujours des esprits très brillants dans l’armée. Et l’Académie n’est pas une académie littéraire mais pluridisciplinaire. Elle a besoin de personnes venant d’horizons différents pour rédiger tous les articles du Dictionnaire, qu’ils soient médicaux, scientifiques ou artistiques. Aujourd’hui, il y a des historiens, des ecclésiastiques, des médecins, des juristes et bien sûr des écrivains à l’Académie.
Y a-t-il débat sur le protocole qui entoure les séances de l’Académie française et lui confère une partie de son prestige mais aussi son image un peu empesée ?
LP : S’il y a unanimité aujourd’hui sur un point parmi les académiciens, c’est bien sur le maintien du protocole. La forme est très importante. Et on ne peut pas reprocher à l’habit vert et à l’épée leur coût très élevé, car ils sont payés par des souscriptions. Quand un nouvel académicien est élu, le comité de l’épée lance une souscription dans les journaux, le Monde, le Figaro, pour payer la fabrication de son épée, décorée de ses symboles. Ce sont donc des particuliers qui la financent.
Le protocole fait partie des rites de l’Académie. C’est très beau une cérémonie sous la Coupole ! La prochaine aura lieu le 22 juin, avec la réception et le discours d’Assia Djebar, l’écrivain algérienne qui succède au juriste George Védel.